dimanche 8 décembre 2024

Chacun est un éveillé qui s’ignore






Le buffle représente notre nature propre, la nature de l’éveil,
la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité)



Le Chemin de l’Éveil


Le dressage du buffle dans le Chan


Selon le bouddhisme Chan, la nature de Buddha est donnée à tous, chacun étant un éveillé qui s’ignore. Aussi ne peut-il être question d’obtenir l’éveil, état dans lequel disparaissent la distinction sujet-objet et les notions de perte et d’obtention. Pourtant l’homme ordinaire doit le réaliser et, pour ce faire, parcourir un chemin au bout duquel il redécouvre cet inconcevable et inexprimable état d’Éveil.

Si certains textes bouddhiques emploient le raisonnement et la logique, d’autres ont plutôt recours à des métaphores. Ils ne cherchent pas à expliquer, mais à rendre préhensibles les points essentiels de la doctrine et à susciter directement l’expérience d’éveil. Les métaphores les plus courantes sont celles du rêve, du reflet de la lune dans l’eau, de la bulle d’air, etc. Plus que toutes les autres, les textes du Chan révèlent ce souci d’éviter les discours doctrinaux et d’employer de préférence des images, des moyens quasi pédagogiques d’enseignement.

C’est à partir du 7ième siècle que s’est développé dans le Chan la métaphore du dressage du buffle comme illustration du chemin vers l’Eveil. Puis un peu plus tard, probablement aux alentours du 10 et 11ième siècle, sont apparus des poèmes et des illustrations développant en plusieurs étapes de dressage du buffle. L’apparition de telles illustrations n’est pas un fait isolé. D’une part, elle participe d’un mouvement général sous la dynastie des Song de représentations graphiques de système philosophiques, ou purement artistiques. D’autre part, elle correspond à l’apparition et à l’expansion en Chine de la xylographie comme moyen de diffusion à grande échelle d’écrits profanes et bouddhiques accompagnés le plus souvent de figures ou de représentations.

Malgré la proscription de 845 contre le bouddhisme en Chine, le Chan non seulement a continué à être florissant, mais il s’est développé et divisé par la suite en cinq écoles principales, celles de Cao Dong, Linji, Fayan, Yunmen, Gui Yang. C’est principalement dans deux de ces écoles, les écoles de Cao Dong et Linji que ce sont développées les versions illustrées du dressage du buffle.

Une version de ce dressage en dix étapes a été portée à la connaissance des lecteurs français dès 1930, avec la traduction par Paul Petit des poèmes de Kuoan, présentée dans la revue Commerce (dont Paul Valéry était l’un des directeurs). En Chine et au Japon, les versions en dix étapes furent les plus répandues. Cependant, on trouve dans plusieurs ouvrages du bouddhisme Chan des versions en quatre, cinq, six, huit et douze tableaux.

Il faut noter dès l’abord que la description des étapes de la « Voie intérieure » dans le dressage du buffle est loin d’être aussi précise et rigoureuse que dans les textes bouddhiques qui décrivent par exemple les 10 Terres (Dasa-Bhûmi) que doit parcourir le bodhisattva, le « candidat à l’éveil », chaque terre étant affectée de caractéristiques précises et qui ne varient guère d’un texte à l’autre. C’est ici davantage l’inspiration poétique de l’auteur qui paraît avoir dicté le nombre d’étapes menant à l’éveil, encore que le choix du chiffre « dix » ait pu être influencé par l’existences des dix terres du bodhisattva. Mais plus que d’étapes, il s’agit de descriptions d’états.

On peut distinguer deux tendances principales dans les différentes versions du dressage du buffle : celles qui mettent l’accent sur la progression des étapes et semblent une description du travail mental effectué au cours de la méditation assise ou lors des activités quotidiennes, et celles qui se concentrent sur l’expérience de l’état d’Eveil et mettent en relief son caractère subit. Nous retrouvons ici la distinction dans le bouddhisme Chan entre deux courants : le courant gradualiste et le courant subitiste, illustrés par les deux stances célèbres de Shenxiu et Houei-neng :

Shenxiu :

Le corps est l’arbre de l’éveil
L’esprit est comme un miroir clair
Appliquez-vous sans cesse à l’essuyer
Afin qu’il soit sans poussière.

Autre traduction :

Le corps est l’arbre de la Bodhi
Le cœur est le miroir spirituel
A chaque instant, il faut le nettoyer diligemment
Afin qu’aucune particule de poussière n’y adhère

Houei-neng (637-714) :

L’éveil ne comporte point d’arbre
Ni le miroir clair de cadre
La nature de Buddha est éternellement pure
Où y aurait-il de la poussière ?

Autre traduction :

La Bodhi n’est pas un arbre
Et le miroir spirituel n’a que faire d’un support
Etant donné qu’au fond, rien n’existe
Où voulez-vous qu’il adhère des poussières ?

Ainsi la version en dix étapes de Puming marque une purification progressive de l’esprit (du cœur), puisque le buffle blanchit au cours des étapes, alors que dans la version en dix étapes de Kuoan, le buffle est blanc dès le début, car il s’agit de retrouver un buffle qui n’a jamais été égaré.

Que représente le buffle ?

Il représente notre nature propre, la nature de l’éveil, la nature de Buddha, l’Ainsité (et la vacuité). L’homme symbolise l’individu, l’être humain ; le bouvier la partie de l’individu qui se tourne vers la nature profonde ; la corde et le fouet sont les moyens habiles, upâya, les différentes méthodes de travail mental qui guident vers l’éveil. L’idée de dressage implique celle d’un long travail constant, quotidien, effectué avec une grande patience et une vigilance sans relâche. Cette idée de dressage ou domptage n’est pas nouvelle, on trouve dans nombre de textes bouddhiques le terme « Cœur à dompter » : diao fu xin.

Certaines versions mettent l’accent sur la notion bouddhique de retournement, d’inversion, car c’est une inversion de notre esprit qui engendre les illusions et le monde extérieur tel qu’on le vit d’ordinaire.

Les maîtres Chan n’ont pas été les seuls à recourir à la métaphore du dressage d’un animal sauvage. Il faut noter en Chine l’existence d’une version taoïste du dressage du cheval due à un certain Gao Daokuan. Ce dernier appartenait à l’école Qunazhen qui s’est développée à partir des Song et fut fortement influencée par le bouddhisme Chan, à tel point que certains textes de cette école, s’ils ne contenaient deux ou trois termes taoïstes, sembleraient du Chan pur. L’auteur de cette version du cheval a connu les étapes du dressage du buffle, dont sa version est probablement dérivée.

Enfin l’on retrouve au Tibet une version du dressage de l’éléphant dont les illustrations les plus anciennes qui nous soient parvenues datent du 17ième siècle. Les données actuelles ne bous permettent pas de dire si le thème et les illustrations du dressage de l’éléphant précèdent ceux du dressage du buffle ou inversement, ni quelles furent leurs influences réciproques. Notons que cette version illustre une philosophie autre : celle des neuf étapes de « Samatha », « la tranquillisation totale » accompagnée de « Vipasyanâ », « la Vue profonde » dans un bouddhisme mahâyâniste.

Catherine Despeux

Ouvrages :

- "Le Chemin de l’Eveil", Catherine Despeux. Edition l’Asiathèque avec le concours du Centre national des Lettres.

"ZEN - L’expérience directe de la réalité", Anne Bancroft. Edition du Seuil. Paris.



mardi 10 septembre 2024

La Controverse entre messire Pao et le Maître qui Embrasse la Simplicité


Maître Pao, lecteur assidu des oeuvres de Lao tseu et de Tchouang tseu, use de son habilité dialectique pour démontrer que les époques reculées sont supérieures aux temps présents, parce que les souverains y étaient inconnus. Voici les arguments qu'il développe dans ses essais :

Les confucéens prétendent que l'Auguste Ciel, après avoir donné naissance au peuple, l'a doté d'un monarque. Mais le Ciel a-t-il une langue pour prodiguer ses conseils ?


Les faibles se soumettent aux forts et les sots se laissent commander par les fourbes. Les rapports entre prince et sujets reposent sur cette soumission des faibles, comme le contrôle des masses ignorantes sur celle des sots. Ainsi esclavage et la corvée sont l'expression d'un rapport de force et d'intelligence entre les hommes où l'Azur n'a aucune part.


Dans l'indistinction primordiale l'absence de différenciation était la règle et la foule des êtres vivants trouvait sa joie dans la satisfaction de ses instincts. Il n'est pas dans la volonté des canneliers d'être écorcés ni dans celle des arbres à laque d'être incisés. Les oiseaux ont-ils demandé que l'on arrache leurs plumes ? Est-il dans la nature du cheval d'être poussé par le mors et la cravache et dans celle du bœuf d'être plié au joug ? Les germes de la fausseté et de l'artifice sont nés de là. On utilise la force des animaux, faisant ainsi violence à leur être. On tue la vie pour façonner des objets inutiles; on attrape oiseaux et quadrupèdes pour se pourvoir en brimborions. On transperce des nez que la nature a créés intacts, on ligote des pattes que le ciel a faites libres. Est-ce le désir de la myriade des créatures ?


On accable de corvées la multitude afin qu'elle assure l'entretien des officiers. Les nobles ont des prébendes tandis que le peuple vit dans la misère. Certes, un mort rappelé à la vie éprouve une grande joie ; mais n'est-il pas préférable de ne pas avoir traversé cette épreuve ? De même il vaut mieux ne pas avoir à les décliner que de refuser appointements et charges afin de se gagner une vaine gloire. La loyauté et l'équité ne resplendissent que dans un monde en proie aux convulsions. La piété filiale et l'amour parental ne brillent que lorsque les relations familiales se dissolvent.


Dans la haute antiquité il n'y avait ni prince ni sujets. On creusait des puits pour boire et l'on labourait la terre pour se nourrir. On réglait sa vie sur le soleil. On vivait dans l'insouciance sans jamais être importuné par le chagrin. Chacun se contentait de son lot, et personne ne cherchait à rivaliser avec autrui ni à exercer de charges. De gloire et d'infamie point. Nuls sentiers ne balafraient les montagnes. Ni barques ni ponts n'encombraient les cours d'eau. Les vallées ne communiquaient pas et personne ne songeait à s'emparer de territoires. Comme il n'existait pas de vastes rassemblements d'hommes la guerre était ignorée. On ne pillait pas les nids des oiseaux, on ne vidait pas les trous d'eau. Le phénix se posait dans la cour des maisons et les dragons s'ébattaient en troupeaux dans les parcs et les étangs. On pouvait marcher sur la queue des tigres et saisir dans ses mains des boas. Les mouettes ne s'envolaient pas quand on traversait les marais, lièvres et renards n'étaient pas saisis de frayeur quand on pénétrait dans les forêts. Le profit n'avait pas encore fait son apparition ; malheurs et troubles étaient inconnus. Lances et boucliers étaient sans emploi et il n'y avait ni murailles ni fossés. Les êtres s'abattaient dans l'indistinction et s'oubliaient dans le Tao, les maladies ne prélevaient pas leur lourd tribut sur les hommes qui tous mouraient de vieillesse. Chacun gardait sa candeur native sans rouler dans son cœur de froids calculs. L'on bâfrait et l'on s'esclaffait ; on se tapait sur le ventre et on s'ébaudissait. La parole était franche et la conduite sans façons. Comment aurait-on songe à pressurer les humbles pour accaparer leurs biens et à instaurer des châtiments afin de les faire tomber sous le coup de la loi ?


Puis la décadence vint. On recourut à la ruse et à l'artifice. Ce fut la ruine de la vertu. On instaura la hiérarchie. On compliqua tout avec les génuflexions rituelles, les salamalecs et les prescriptions somptuaires. Les hauts bonnets de cérémonie et les vêtements chamarrés apparurent. On empila la terre et le bois en des tours qui percèrent la nue. On peinturlura en émeraude et en cinabre les poutres torsadées des palais. On arasa des montagnes pour dérober à la terre ses trésors, on plongea au fond des abysses pour en ramener des perles. Les princes rassemblèrent des monceaux de jade sans réussir à satisfaire leurs caprices, ils se procurèrent des montagnes d'or sans parvenir à subvenir à leurs dépenses. Vautrés dans le luxe et la débauche, ils outrageaient le fond primitif. L'homme s'éloigne chaque jour davantage de ses origines et tourne le dos un peu plus à la simplicité première. Que le prince prise les sages, et le peuple cherche à se faire une vaine réputation de vertu, qu'il convoite les biens matériels et il favorise la rapine. Car dès lors que l'on fait miroiter des objets susceptibles d'attiser les convoitises on ruine l'authenticité que l'homme abrite en son sein. Pouvoir et profit ouvrent la voie à l'accaparement et à la spoliation. Bientôt l'on se met à fabriquer des armes tranchantes, déchaînant le goût de la conquête. On craint que les arcs ne soient pas assez puissants, les cuirasses assez solides, les lances assez acérées, les boucliers assez épais. Mais sans guerres ni agressions tous ces engins de mort seraient bons à mettre au rebut.


Si le jade blanc ne pouvait être brisé y aurait-il des tablettes de cérémonie ? Si le Tao n'avait pas périclité, aurait-on eu besoin de se raccrocher à la bonté et à la justice ? C'est ainsi qu'il fut possible aux tyrans Kie et Tcheou et à leurs émules de faire griller leur prochain à petit feu, de mettre à mort ceux qui leur adressaient des remontrances, de couper en rondelles les princes feudataires, de transformer en hachis les chefs territoriaux, de disséquer le cœur des sages et de scier les jambes de qui bon leur semblait ; ils se livrèrent aux pires excès de la barbarie, allant jusqu'à inventer le supplice de la poutre ardente. Si de tels individus étaient restés de simples particuliers, même dotés du plus mauvais fond et des désirs les plus monstrueux, jamais il ne leur aurait été loisible de se livrer à de telles exactions. Mais du fait qu'ils étaient princes, ils purent donner libre carrière à leurs appétits et lâcher la bride à leurs vices, si bien qu'ils mirent l'empire à feu et à sang. Ainsi l'institution des monarques est la cause de tous les maux. Comment agiter les bras quand ils sont pris dans les fers et faire preuve de résolution quand on se morfond dans la boue et la poussière ? Prétendre apporter la paix grâce aux rites et corriger les meurs par les règlements, dans une société où le maître des hommes tremble et se tourmente en haut dans son palais tandis qu'en bas le peuple se débat dans la misère, me semble aussi vain que de vouloir endiguer les eaux du déluge avec une poignée de terre et obstruer avec le doigt la source jaillissante et insondable d'où proviennent les océans !



ELOGE DE L'ANARCHIE PAR DEUX EXCENTRIQUES CHINOIS, Polémiques du troisième siècle traduites et présentées par Jean Levi.




dimanche 17 avril 2011

Les Sept Sages du bois de bambous




Les Sept Sages du bois de bambous de Fu Baoshi (1904-1965). Sujet courant de l'art chinois traditionnel, les sages sont un groupe de lettrés taoïstes du IIIe siècle, qui ont échappé à la cour et aux ambitions vulgaires pour mener une vie sans souci, à la recherche du Tao. Au cours des siècles, la retraite et le mépris des mondanités comme de l'étiquette, joints au goût pour la poésie, le vin et la musique, en sont venus à caractériser les excentriques et les sages taoïstes.

La Chine ancienne

La Chine ancienne


Au regard de l'Occidental, la civilisation chinoise apparaît comme mystérieuse, auréolée de légendes tantôt magiques, tantôt cruelles. Cet ouvrage démêle la réalité du fantasme : la Chine ancienne évoque l'histoire, la société, la civilisation et les croyances des Chinois, de la préhistoire et des origines légendaires du pays jusqu'à la chute du régime impérial en 1912. Le legs chinois, qui trouve son origine plus de 1 500 ans avant notre ère, ne repose pas seulement sur les fastes et sur l'omniprésence contraignante du pouvoir impérial. L'ouvrage révèle les apports tant philosophiques ou religieux qu'artistiques ou scientifiques. Les préceptes moraux et politiques du confucianisme, l'association des principes contraires du yin et du yang marquent l'évolution de la pensée au même titre que les répercussions de l'invention de la poudre, du compas ou de l'imprimerie révolutionnent la science. Légendaire, le pays du Dragon céleste n'est pas, comme la tradition l'a colporté, un vaste empire isolé des autres, se développant à l'écart, fermé aux influences. La Chine ancienne met en relief le caractère cosmopolite et international de l'aventure chinoise et rappelle ce que les années troublées de la révolution doivent au passé impérial. Illustré par plus de 200 reproductions, complété par des cartes et des chronologies, cet ouvrage de référence, rédigé par des universitaires, intègre les recherches les plus récentes sur la Chine. Il offre le portrait vivant d'une culture fascinante, évoquant les coutumes et les traditions villageoises comme les splendeurs de la cour impériale.

mercredi 14 avril 2010

Les droits de l’Homme aux Etats-Unis


La Chine a riposté aux critiques américaines contenues dans un rapport sur les droits de l’Homme, en publiant son propre document sur les droits de l’Homme aux Etats-Unis.

« Comme les années précédentes, le rapport américain est plein d’accusations contre la situation des droits de l’Homme dans plus de 190 pays et régions, dont la Chine, mais ferme les yeux sur, ou évite et même dissimule les abus massifs des droits de l’Homme sur son propre territoire », a déclaré le Bureau de l’Information du Conseil des Affaires d’Etat (gouvernement chinois) dans son rapport sur les droits de l’Homme aux Etats-Unis.
Le Rapport sur les droits de l’Homme aux Etats-Unis en 2009 a été publié en réponse au rapport 2009 sur la situation des droits de l’Homme dans le monde, publié le 11 mars par le Département d’Etat américain.
Le rapport est « préparé pour aider les gens à travers le monde à comprendre la situation réelle des droits de l’Homme aux Etats-Unis », indique le rapport.
Le rapport a passé en revue la situation des droits de l’Homme aux Etats-Unis en 2009 à travers six thèmes : vie, propriété et sécurité personnelle ; droits civils et politiques ; droits culturels, sociaux et économiques ; discrimination raciale ; droits des femmes et des enfants ; violations des droits de l’Homme par les Etats-Unis contre d’autres pays.
Il critique les Etats-Unis pour avoir utilisé les droits de l’Homme comme « outil politique pour s’ingérer dans les affaires intérieures d’autres pays et diffamer l’image d’autres pays au profit de ses propres intérêts stratégiques« .
La Chine conseille au gouvernement américain de tirer des leçons de l’histoire, avoir lui-même une attitude correcte, d’oeuvrer pour améliorer sa propre situation des droits de l’Homme, et de rectifier ses actions dans le domaine des droits de l’Homme.
Il s’agit de la 11e année consécutive que le Bureau de l’Information du Conseil des Affaires d’Etat publie un article sur les droits de l’Homme aux Etats-Unis, en réponse au rapport annuel du Département d’Etat américain.
« A un moment où le monde souffre d’un grave désastre sur le plan des droits de l’Homme, causé par la crise financière mondiale provoquée par la crise des subprimes américaine, le gouvernement américain ignore toujours ses propres problèmes graves en matière de droits de l’Homme et se réjouit d’accuser d’autres pays. C’est vraiment dommage », indique le rapport.

ESPIONNER LES CITOYENS

Bien qu’il prône la « liberté d’expression », la « liberté de la presse » et la « liberté sur Internet », le gouvernement américain surveille et limite sans aucun scrupule la liberté des citoyens quand il s’agit de ses propres intérêts et besoins, indique le rapport.
Les droits des citoyens sur l’accès aux informations et de leur distribution sont sous stricte supervision, ajoute le rapport.
Selon les médias, l’Agence de sécurité nationale des Etats-Unis a commencé en 2001 à installer des appareils d’écoute spécialisés dans tout le pays pour surveiller les appels, les fax, les emails et recueillir les communications intérieures.
Les programmes d’écoute visaient tout au début les Américains d’origine arabe, mais se sont élargis ensuite à tous les Américains.
Après les attaques du 11 septembre, le gouvernement américain, sous prétexte d’anti-terrorisme, a autorisé ses départements d’intelligence à pirater les communications par email de ses citoyens et à surveiller et supprimer, à travers des moyens techniques, toute information sur Internet qui pourrait menacer les intérêts nationaux des Etats-Unis.
Les statistiques montrent qu’entre 2002 et 2006, le FBI a recueilli des milliers d’informations sur les appels téléphoniques de citoyens américains.
En septembre 2009, le pays a établi un organe de supervision de sécurité sur Internet, renforçant les inquiétudes des citoyens américains sur une utilisation éventuelle du gouvernement américain de la sécurité d’Internet comme prétexte pour surveiller et s’ingérer dans les systèmes personnels.
La soi-disant « liberté de la presse » aux Etats-Unis est en fait complètement subordonnée aux intérêts nationaux et manipulée par le gouvernement américain, souligne le rapport.
Fin 2009, le Congrès américain a passé un projet de loi pour imposer des sanctions contre plusieurs chaînes satellite arabes pour la diffusion de contenus hostiles aux Etats-Unis et incitant à la violence.

LA VIOLENCE RÉPANDUE AUX ETATS-UNIS

La violence répandue aux Etats-Unis menace la vie, la propriété et la sécurité personnelle des Américains, indique le rapport.
En 2008, les Américains ont éprouvé 4,9 millions de crimes violents, 16,3 millions de crimes contre la propriété et 137 000 vols personnels, et le taux de crimes violents est de 19,3 victimes pour 1 000 personnes âgées de 12 ans et plus.
Chaque année, environ 30 000 personnes succombent à des accidents impliquant des armes à feu. Selon un rapport du FBI, il y a eu 14 180 victimes de meurtre en 2008, affirme le rapport.
Les campus sont des zones de plus en plus touchés par les crimes violents et les fusillades. La fondation américaine U.S. Heritage Foundation a rapporté que 11,3% des lycéens à Washington D.C. avaient reconnu avoir été « menacés ou blessés » par une arme durant l’année scolaire 2007-2008.

ABUS DE POUVOIR

La police américaine fait souvent preuve de violence sur la population et les abus de pouvoir sont communs chez les exécuteurs de la loi, indique le rapport.
Les deux dernières années, le nombre de policiers new-yorkais placés sous révision pour avoir engrangé trop de plaintes a augmenté de 50%.
Dans les grandes villes américaines, la police arrête, interpelle et fouille plus d’un million de personnes chaque année, le nombre augmentant brusquement par rapport à il y a quelques années.
Les prisons aux Etats-Unis sont encombrées de détenus. Environ 2,3 millions de personnes ont été placées en garde à vue, soit un habitant sur 198, selon ce rapport.
De 2000 à 2008, la population carcérale américaine s’est accrue en moyenne annuelle de 1,8%.
Les droits fondamentaux des prisonniers aux Etats-Unis ne sont pas bien protégés. Les cas de viol de détenus commis par les employés de prison ont été largement rapportés, ajoute le document.
Selon le département américain de la justice, les rapports sur les délits sexuels à l’égard des détenus commis par les travailleurs de prison dans les 93 prisons fédérales du pays ont doublé au cours des huit années passées.
D’après une enquête fédérale sur plus de 63 000 prisonniers fédéraux ou de l’Etat, 4,5% ont avoué avoir été abusés sexuellement au moins une fois durant les 12 mois précédents.

NOMBRE CROISSANT DE SUICIDES EN RAISON DE LA PAUVRETÉ

Selon le rapport, la population pauvre est la plus importante depuis onze ans.
Le journal Washington Post a rapporté que 39,8 millions d’Américains vivaient dans la pauvreté fin 2008, en hausse de 2,6 millions par rapport à 2007. Le taux de pauvreté en 2008 était de 13,2%, le plus haut niveau depuis 1998.
La pauvreté a entraîné une forte croissance du nombre de cas de suicides aux Etats-Unis. Selon les informations, on enregistre chaque année 32 000 cas de suicides aux Etats-Unis, presque le double des cas de meurtre, dont le nombre est de 18 000, fait savoir le rapport.

VIOLATION DES DROITS DES TRAVAILLEURS

La violation des droits des travailleurs est très grave aux Etats-Unis, indique le rapport.
Selon le journal New York Times, environ 68% des 4 387 travailleurs à bas revenus interrogés lors d’une enquête disent avoir connu une réduction de salaires et 76% d’entre eux ont fait des heures supplémentaires sans être payés correctement.
Le nombre de personnes sans assurance santé n’a cessé d’augmenter pendant huit ans consécutifs, poursuit le rapport.
Les chiffres publiées par le Bureau de recensement des Etats-Unis montrent que 46,3 millions de personnes n’avaient pas d’assurance santé en 2008, représentant 15,4 % de la population totale, en comparaison avec les 45,7 millions en 2007, représentant une hausse consécutive pendant huit ans.

Source : French.china.org

mardi 17 juin 2008

Cynisme, folie et camouflage : Laozi

Nul autre que Lin Yutang, lettré chinois pétri de culture occidentale - qui disait "penser en chinois avec un pinceau et en anglais avec une machine à écrire" - pouvait réussir à nous éclairer sur le sens que nous donnons au mot "bonheur" en Occident et en Chine. "Quel peut être le but de la vie, si ce n'en est la jouissance ? " Et cette vie qui est la nôtre, déjà en 1938, date où il écrit ce livre, il déplore qu'elle soit " trop compliquée, notre science trop sérieuse, notre philosophie trop sombre et nos pensées trop embrouillées ". Aux petits soldats obéissants que nous sommes, l'antique sagesse chinoise oppose la figure du "vagabond" : recherchant l'oisiveté, cultivant un esprit libre, dont l'aspiration à l'idéal se tempère d'un désenchantement rieur. Convoquant ses " compagnons spirituels ", poètes et philosophes chinois, mais aussi Thoreau ou Nietzsche, il fait l'éloge d'un homme pleinement homme, capable de goûter à toutes les saveurs de l'existence. Car le banquet de la vie est devant nous et la seule question qui se pose est celle de notre appétit.

Cynisme, folie et camouflage : Laozi

Il est paradoxal que la philosophie la plus perverse de Laozi, celle du "vieux malin", ait été l’instigatrice du plus haut idéal de paix, de tolérance, de simplicité et de contentement. Dans ses enseignements sont inclus la sagesse de l’insensé, les avantages du camouflage, la force de la faiblesse et la simplicité de ceux qui sont vraiment sophistiqués. L’art chinois lui-même, avec ses allusions poétiques et sa glorification de la vie simple du bûcheron et du pêcheur, ne peut exister en dehors de cette philosophie. A la base du pacifisme chinois se trouve la volonté de réparer les pertes temporaires et d’attendre le bon moment, et la croyance que les choses étant ce qu’elles sont, avec la nature opérant selon la loi de l’action et de la réaction, personne n’obtient un avantage permanent sur les autres et n’est un "sacré idiot" tout le temps.

La plus grande sagesse ressemble à la stupidité,
La plus grande éloquence au bégaiement.
Le mouvement triomphe du froid,
Mais l’immobilité vainc la chaleur.
Ainsi par son calme limpide
Il met tout en ordre sous le ciel.


Sachant cela, la conclusion naturelle est qu’il n’y a pas lieu de se disputer. Selon les paroles de Laozi, le sage "ne se dispute pas, pour cette simple raison qu’il ne trouve, sous le ciel, personne pour se disputer avec lui". Il dit encore : "Montrez-moi un homme de violence qui fasse une bonne fin et je le prendrai pour maître." Un écrivain moderne pourrait ajouter ; "Montrez-moi un dictateur qui puisse se passer d’une police secrète et je le suivrai." C’est pour cette raison que Laozi dit : "Quand le Dao ne prévaut pas, les chevaux sont entraînés pour la guerre ; quand le Dao prévaut, les chevaux sont entraînés à cultiver les champs."

Le meilleur conducteur de char ne court pas en tête ;
Le meilleur lutteur ne fait pas montre de sa force ;
Le plus grand conquérant est vainqueur sans discours ;
Le meilleur meneur d’hommes agit comme s’il était leur inférieur.
Cela s’appelle la puissance qui s’établit sans discussion,
La capacité de mener les hommes,
Le secret d’être uni au ciel.
Ainsi était-il dans les temps anciens.


La loi d’action et de réaction porte sur la violence qui appelle la violence :

Celui qui par le Dao se propose d’aider un souverain
S’opposera à toute conquête par la force des armes ;
Car de telles choses ont coutume de se reproduire.
Là où sont les armées, poussent les épines et les ronces.
La levée d’une grande armée
Est suivie par une année de disette.
C’est pourquoi un bon général accomplit son dessein, puis s’arrête ;
Il ne pousse pas plus loin les avantages de sa victoire ;
Il accomplit sa tâche et n’en retire pas gloire ;
Il accomplit sa tâche et ne s’en vante pas ;
Il accomplit sa tâche et ne s’en enorgueillit pas ;
Il accomplit sa tâche, mais seulement par nécessité.
Il accomplit sa tâche, mais sans violence.
Car ce qui a un temps de vigueur, a aussi un temps de faiblesse.
Cela est contre le Dao,
Et ce qui est contre le Dao, périra bientôt.


J’ai le sentiment que si Laozi avait été invité à prendre place à la conférence de Versailles, il n’y aurait pas de Hitler aujourd’hui. Hitler proclame que son œuvre et lui-même doivent avoir été "bénis par Dieu", en se basant sur sa miraculeuse accession au pouvoir. J’incline à penser que la chose est plus simple. Il a été béni par l’esprit de Clémenceau. Le pacifisme chinois n’est pas celui du "vieux malin" - basé non pas sur l’amour universel, mais sur une sagesse subtile.

Ce qui doit finalement se rétrécir,
Doit d’abord être gonflé.
Ce qui doit être affaibli,
Doit commencer par être rendu fort.
Ce qui être renversé,
Doit commencer par être élevé.
Ce qui manque de tout,
Doit commencer par être comblé de dons.
Cela s’appelle baisser sa lumière.
C’est ainsi que ceux qui sont doux,
Triomphent de ceux qui sont durs,
Et les faibles des forts.
Il vaut mieux laisser le poisson dans son eau ;
Et les armes les plus tranchantes de l’Etat là où personne ne peut les voir.


Il n’y a jamais eu de sermon plus efficace, ni plus efficacement prêché, sur la force de la faiblesse, la victoire des pacifiques et l’avantage d’une basse position, que par Laozi. Car l’eau resta toujours pour lui comme le symbole de la force – l’eau qui s’égoutte doucement et fait un trou dans le rocher, l’eau qui a la grande sagesse taoïste de rechercher le plus bas niveau :

Comment les grandes rivières et les mers obtiennent-elles leur royauté sur des centaines d’autres cours d’eau plus petits ?
Par le mérite d’être plus bas ; c’est ainsi qu’elles obtiennent leur royauté.


Un symbole également commun est celui de la "Vallée" représentant le creux, les entrailles et la mère de toute chose, le Yin ou la femelle.

L’esprit de la Vallée ne meurt jamais,
Il est appelé la Mystérieuse Femelle.
Et la porte de la Mystérieuse Femelle
Est la racine d’où jaillissent le Ciel et la Terre.
Elle est en nous à tout moment ;
Vous pouvez en user à volonté, jamais elle ne s’épuisera.


Il ne serait nullement exagéré de dire que la civilisation orientale représente le principe femelle, tandis que la civilisation occidentale représente le principe mâle. D’ailleurs il y a quelque chose qui ressemble terriblement à une vallée, ou à une matrice dans la force passive de la Chine qui, dans la langue propre à Laozi, "reçoit en elle tout ce qui se trouve sous le ciel et, étant une vallée, a toujours une puissance qui se suffit".

A l’encontre du désir de Jules César d’être le premier dans son village, Laozi donne le conseil contraire "de n’être jamais le premier dans le monde". Cette pensée du danger d’être éminent est exprimée par Zhuangzi dans une satire contre Confucius car celui-ci était mort à l’époque où écrivait Zhuangzi et les lois contre la calomnie n’existaient pas en Chine.

Lorsque Confucius fut arrêté entre Chen et Cai, il resta sept jours sans nourriture.
Le ministre Ren vint lui exprimer ses condoléances et lui dit :
"Vous avez risqué de mourir.
C’est vrai, répliqua Confucius.
Craignez-vous la mort ? demanda Ren.
Oui, dit Confucius.
Alors je vous apprendrai, dit Ren, la manière de ne pas mourir. Dans la mer de l’Est, il y a certains oiseaux appelés yidai (pétrels ou hirondelles de mer). Ils se comportent d’une façon modeste et simple, comme s’ils étaient gauches. Ils volent et se perchent tous ensemble. Lorsqu’ils s’avancent, aucun ne se met le premier, lorsqu’ils reculent, aucun ne s’aventure à être le dernier. Lorsqu’ils mangent, aucun ne veut être le premier à commencer, il est de bon ton de manger les restes. C’est pourquoi ils vivent en paix et le monde extérieur est incapable de les troubler. Ainsi, ils n’ont pas d’ennuis.
"Les arbres droits sont les premiers abattus. Les sources douces sont les plus tôt taries. Et vous, vous faites montre de votre science en vue d’effrayer des insensés. Vous vous cultivez, alors que les autres se dégradent. Et vous brillez, comme si le soleil et la lune étaient sous vos bras ; par conséquent, vous ne pouvez pas éviter les troubles…
- En effet", répliqua Confucius.
Et sur-le-champ il prit congé de ses amis, renvoya ses disciples et se retira dans le désert, où il se vêtit de peaux et se nourrit de glands et de noix. Il se promenait parmi les bêtes et les oiseaux qui ne prenaient pas garde à lui.


J’ai fait un poème qui résume pour moi le message de la pensée taoïste :

Il y a la sagesse de l’insensé
Il y a la grâce de celui qui est lent,
La subtilité de la stupidité,
L’avantage d’une position basse.


Cela doit rappeler aux lecteurs chrétiens le Sermon sur la Montagne, et peut-être leur sembler également inefficace. Laozi donnait aux Béatitudes une nuance de ruse quand il ajoutait : "Bénis soient les idiots, car ils sont les gens les plus heureux de la terre." A la suite des célèbres phrases de Laozi : "La plus grande sagesse est comme la stupidité ; la plus grande éloquence, comme le bégaiement", Zhuangzi dit : "Crachez sur l’intelligence." Liu Zhongyuan, au 8ème siècle, appelait la montagne voisine "la Montagne stupide" et la rivière proche "la Rivière stupide", Zheng Banquiao au 18ème siècle, faisait la fameuse remarque : "Il est difficile d’avoir l’esprit confus. Il est difficile d’être intelligent, mais il est encore plus difficile de passer de l’intelligence à la stupidité." L’éloge de la folie n’a jamais été interrompu dans la littérature chinoise. La sagesse de cette attitude se retrouve dans l’expression familière : "Ne fais pas trop le malin." L’homme le plus sage est souvent celui qui prétend être un "sacré idiot".

C’est pourquoi nous trouvons, dans la culture chinoise, le curieux phénomène d’une haute intelligence qui se défie d’elle-même et proclame la première, pour autant que je le sache, l’évangile de l’ignorance et la théorie du camouflage comme les meilleures armes dans la bataille de la vie. Du conseil de Zhuangzi de "cracher sur l’intelligence", il n’y a qu’un pas à la glorification de l’idiot, que nous pouvons constamment observer dans la peinture chinoise et les portraits littéraires du gueux, ou de l’immortel déguisé, ou du moine fou, ou de l’anachorète extraordinaire, tel que nous le voyons dans "Le voyage de Mingliaozi" de Tu Long. Le sage désenchantement de la vie prend une nuance romantique ou religieuse et entre dans le royaume de la fantaisie poétique, lorsque le pauvre moine déguenillé et à moitié fou devient pour nous le symbole de la plus haute sagesse et de la noblesse de caractère.

La popularité des imbéciles est un fait indéniable. Je ne doute pas qu’en Orient comme en Occident, le monde ne déteste l’homme qui est trop habile dans ses rapports avec ses semblables. Yuan Hongdao écrivit un essai montrant pourquoi ses frères et lui préfèrent garder quatre serviteurs extrêmement bêtes et loyaux. Chacun peut parcourir les noms de ses amis, les associer dans son esprit et vérifier pour lui-même le fait que ceux que nous aimons ne sont pas ceux que nous respectons pour leur habilité et que ceux que nous respectons pour leur habilité ne sont pas ceux que nous aimons et que nous aimons un serviteur idiot parce qu’il est plus digne de confiance, qu’en sa compagnie nous pouvons mieux nous détendre et que nous n’avons pas besoin de nous mettre en posture de défense en sa présence. Beaucoup d’hommes avisés choisissent d’épouser des femmes pas trop malignes, et plus d’une jeune fille sage un mari pas trop intelligent comme compagnon de vie.

Il y a des fous fameux dans l’histoire de Chine, tous extrêmement populaires. Par exemple, le célèbre peintre Song, Mi Fu, qui signait Mi Dian (Mi le Fou) et prit ce titre parce qu’il apparut un jour en robe de cérémonie pour honorer un morceau de roche déchiquetée qu’il appelait son "beau-père". Mi Fu, tout comme le fameux peintre de la dynastie Yuan, Ni Zan, avait une douce forme de folie de la propreté. Il y avait le célèbre moine-poète fou Hanshan, qui se promenait les cheveux défaits et les pieds nus, travaillait dans les cuisines des différents monastères, mangeait les restes et écrivait des vers immortels sur les murs des temples et des cuisines. Le plus grand des moines fous qui ait séduit l’imagination du peuple chinois est sans doute Jidian, ou Jidong, qui est le héros d’un roman populaire atteignant trois fois la taille du "Don Quichotte" et resté, semble-t-il, inachevé. Car il vit dans un monde de magie, de médecine, de fourberie et d’ivrognerie et possède le don d’ubiquité. Le temple élevé en son honneur existe encore aujourd’hui à Hubao. A un moindre degré, les grands génies romantiques des 16ème et 17ème siècles, quoique décidément aussi normaux que nous, tendent par leur conduite et leur apparence excentrique à donner l’impression d’être fous, comme Xu Wei, Li Zhi et Jin Shengtan (littéralement, "le Soupir du Sage", un nom qu’il se donna lui-même, parce que, disait-il, on entendit le jour de sa naissance un mystérieux soupir dans le temple de Confucius du village).


lundi 16 juin 2008

La liberté pour quoi faire ?

Il y a plus de soixante ans, Georges Bernanos sonnait l'alarme.

La liberté pour quoi faire ? C'est précisément la question que le monde moderne est en train de poser à notre espèce, car je crois de plus en plus que ce monde est un monde totalitaire et concentrationnaire en formation, qui presse chaque jour de plus en plus sur l'individu libre, ainsi qu'autour d'un navire la glace qui commence à prendre, jusqu'à faire éclater la coque.

Je lisais ces jours-ci dans un de vos journaux l'article d'un confrère plein de talent qui opposait le capitalisme au communisme, et donnait à cette opposition le sens d'une lutte entre les forces de la dictature et l'esprit de liberté. Une telle idée séduit beaucoup de gens, parce qu'elle ressemble à une idée simple, alors qu'elle n'est peut-être que simpliste. La dictature m'apparaît plutôt comme une corruption du capitalisme, mais le capitalisme n'était-il pas appelé fatalement à se corrompre? N'est-il pas conforme à la logique des choses que les milliers et les milliers d'entreprises du capitalisme naissant se soient vues peu à peu réduites en nombre, tandis qu'elles augmentaient en puissance et en efficacité? Ainsi sont nés les trusts, et les trusts eux-mêmes deviennent de moins en moins nombreux, jusqu'au jour où l'État se substitue aux derniers d'entre eux pour devenir le trust des trusts, le trust unique, un et indivisible. Est-ce que le temps n'est pas venu de nous demander si tous nos malheurs n'ont pas une cause commune, si cette forme de civilisation que nous appelons la civilisation des machines n'est pas un accident, une sorte de phénomène pathologique dans l'histoire de l'humanité, dont on ne doit pas dire qu'elle est la civilisation des machines, mais l'envahissement de la civilisation par les machines, dont la conséquence la plus grave est non pas seulement de modifier profondément le milieu dans lequel vit l'homme, mais l'homme lui-même. Ne nous laissons pas tromper ...

Car le machinisme n'est peut-être pas seulement une erreur économique et sociale. Il est peut-être aussi un vice de l'homme comparable à celui de l'héroïne ou de la morphine, comme si tous deux ou tous trois ne faisaient que trahir la même déchéance nerveuse, une double tare de l'imagination et de la volonté. Ce qui est véritablement anormal chez le toxicomane, ce n’est pas qu'il use d'un poison: c'est qu'il ait éprouvé le besoin d'en user, de pratiquer cette forme perverse d'évasion, de fuir sa propre personnalité, comme un voleur s'échappe de l'appartement qu'il vient de cambrioler. Aucune cure de désintoxication ne saurait guérir ce malheureux de son mensonge, le réconcilier avec lui-même. Oh ! je sais bien qu'un tel rapprochement paraîtra d'abord ridicule à beaucoup de gens. Je n'ai pourtant nullement la prétention de condamner les machines. Si le monde est menacé de mourir de sa machinerie, comme le toxicomane de son poison favori, c'est que l'homme moderne demande aux machines, sans oser le dire ou peut-être se l'avouer à lui-même, non pas de l'aider à surmonter la vie, mais à l'esquiver, à la tourner, comme on tourne un obstacle trop rude. Les Yankees voulaient nous faire croire, il y a vingt ans, que le machinisme était le symptôme d'une excessive poussée de vitalité ! S'il en avait été ainsi, la crise du monde serait déjà résolue, au lieu qu'elle ne cesse de s'étendre, de s'aggraver, de prendre un caractère de plus en plus anormal. Bien loin de témoigner d'une vitalité excessive l'homme du machinisme, en dépit des immenses progrès réalisés par la médecine préventive et curative, ressemble bien plutôt à un névropathe, passant tour à tour de l'agitation à la dépression, sous la double menace de la folie et de l'impuissance. La technique agira peut-être demain sur un être hors d'état de se défendre. Voilà ce que je voudrais dire.

L'espèce de civilisation qu'on appelle encore de ce nom - alors qu'aucune barbarie n'a fait mieux qu'elle, n a été plus loin qu elle dans la destruction - ne menace pas seulement les ouvrages de l'homme : elle menace l'home lui-même; elle est capable d'en modifier profondément la nature, non pas en y ajoutant sans doute mais en y retranchant. Devenue plus ou moins maîtresse de nos cerveaux par sa propagande colossale, elle peut se donner, bientôt peut-être, un matériel humain fait pour elle, approprié à ses besoins.

J'ai plusieurs fois désigné ce monde devant lequel l'humanité hésite encore, se demandant si nous nous y engagerons ou non, car il ne ressemble guère à celui que nous lui avions promis, sous le nom de Monde Nouveau. C'est là une expression inexacte, une espèce de licence de vocabulaire, analogue à celle qui nous' fait dire que le soleil monte ou descend dans le ciel. Car ce monde n'est pas nouveau. Capitaliste ou marxiste, libéral ou totalitaire, il n'a cessé d'évoluer vers la centralisation et la dictature. Le régime des trusts ne saurait nullement s'opposer au collectivisme d'État, puisqu'il n'est qu'une phase de l'évolution que je dénonce. Autant vaudrait dire alors que le têtard s'oppose à la grenouille. Les trusts ont concentré peu à peu la richesse et la puissance autrefois réparties entre un très grand nombre d'entreprises, pour que l'État moderne, le moment venu, distendant sa gueule énorme, puisse tout engloutir d'un seul coup, devenant ainsi le Trust des Trusts, le Trust-Roi, le Trust-Dieu ... Non, ce monde n'est pas nouveau. Il est devenu possible dès que la déspiritualisation de l'homme - et particulièrement de l'homme d'Europe - s'est trouvé atteindre un certain degré de gravité, comme un pauvre diable, par exemple, ne présente les symptômes du scorbut qu'au moment où sa dévitaminisation est trop profonde. Nous ne nous trouvons pas en présence d'une civilisation nouvelle, apparue brusquement dans l'histoire, c'est la civilisation humaine sortie de sa route grâce à des circonstances exceptionnelles, et engagée dans une voie sans issue. Je ne puis m'empêcher de dire qu'on se paie notre tête lorsqu'on s'efforce de nous faire croire que cette contre-civilisation de la bombe atomique est une fatalité de l'histoire. Il était fatal, en effet, que l'homme construisît des machines, et d'ailleurs il en a toujours construit. Il n'était nullement fatal que l'humanité consacrât toute son intelligence et toute son activité à la construction des mécaniques, que la planète entière devînt une immense machinerie et l'homme une sorte d'insecte industrieux. Qu'on comprenne bien ma pensée 1 Nul ne songe à dénier aux hommes d'aujourd'hui le droit de fabriquer des machines, mais on leur refuse celui de sacrifier, par avance, à la machinerie universelle la liberté des hommes de demain, dans l'illusion imbécile qu'on ne peut se sauver des machines que par les machines. A quoi bon multiplier les machines si l'énergie nécessaire à leur fonctionnement se trouve étroitement contrôlée, jour et nuit, par un petit nombre de techniciens ? L'abaissement d'un simple levier au fond d'une centrale électrique ne suffit-il pas pour priver de lumière et de chaleur des millions d'hommes ? Dans ces conditions, avouez qu'il est comique d'entendre les imposteurs parler des machines avec une dévotion religieuse. Jamais une société n'aura été pourvue de moyens aussi efficaces pour les contraindre et, au besoin, les anéantir. À la fameuse devise jacobine: " La liberté ou la mort ", le monde totalitaire et concentrationnaire pourra bientôt répondre: "La servitude ou la mort ".

Eh bien, des millions et des millions d'hommes attendent que la France relève le défi. Des millions d'hommes ne croient déjà plus à une civilisation qui se recommande de la science alors qu'elle n'est que la dictature d'une technique en délire, et que les savants eux-mêmes la regardent comme une expérience terriblement dangereuse pour l'humanité, une espèce de pile ou face.

Oui, c'est vrai, je vous le jure, des millions et des millions d'hommes attendent sa voix. Non pas seulement les produits de son sol, de son sous-sol ou de ses usines mais sa voix. Non pas le balbutiement de ses haines, mai; une voix, sa voix, sa voix raisonnable et passionnée une voix humaine, une parole incarnée dans un monde de robots...

La France n'est pas responsable de cette civilisation absurde. Cette civilisation s'est faite sans elle, s'est faite contre elle. Vis-à-vis de ce monde, la France est libre. Je pense que la France est seule, absolument seule capable de penser un autre monde que celui-ci, je veux dire de le penser avec cette sensibilité prodigieuse de l'intelligence qui rend les idées vivantes, aboutit à une véritable incarnation de la pensée. Oh 1 sans doute, beaucoup d'entre ceux qui me lisent haussent déjà les épaules: " À quoi bon!" Ce n'est pas pour eux que je parle. Ils ne m'importent pas, ils n'importent pas non plus à mon pays. Ils sont prêts pour tous les Munich de l'esprit. Ils ne songent qu'à voir rentrer la France, le plus tôt possible, dans le circuit infernal de la production sans bornes pour la destruction sans mesure, ils veulent qu'elle se remette à construire des mécaniques coûte que coûte, ils sacrifient depuis deux ans à ces mécaniques le pain des vieillards, le lait des enfants et la moralité même de notre peuple sapée jour après jour par le marché noir, comme si les énormes organisations économiques, les monstres de production mécanique qui ne cessent de grandir à l'est et à l'ouest de l'Europe devaient nous laisser indéfiniment le droit de construire pour cent mille francs ce qu'ils sont en mesure de nous vendre pour vingt mille, comme si la guerre économique pouvait être autre chose qu'une guerre totale.

Le moins qu'on puisse dire de la civilisation actuelle, c'est qu'elle ne s'accorde nullement avec les traditions et le génie de notre grand peuple. Il a essayé de s'y conformer pour y vivre ; il y a beaucoup, il y a immensément perdu. Il risque de tout perdre dans cet effort contre lui-même, contre son histoire. La civilisation totalitaire et concentrationnaire l'a progressivement affaibli ; elle menace de le dégrader; elle ne lui imposera pas de se renier.

A l'heure où la civilisation des machines - qu'on peut bien sans offenser personne appeler " anglo-américaine", car si l'Amérique en a fourni l'expression la plus complète, elle est née en Angleterre avec les premières machines à tisser le coton - à l'heure où cette civilisation commençait la conquête du monde, la France lançait le dernier message que le monde ait reçu d'elle: cette Déclaration des Droits qui était un cri de foi dans l'homme, dans la fraternité de l'homme pour l'homme, et qui aurait aussi bien pu être un cri de malédiction pour une civilisation qui allait tenter d'asservir l'homme aux choses. L'histoire dira un jour que la France a été conquise par la civilisation des machines - cette civilisation capitaliste prédestinée dès sa naissance à devenir la civilisation totalitaire - exactement comme un peuple est conquis par un autre peuple, et le monde, ou du moins une partie du monde a été aussi conquis par elle, pris de force. La conquête du monde par la monstrueuse alliance de la spéculation et de la machine apparaîtra un jour comme un événement comparable non pas seulement aux invasions de Gengis Khan ou de Tamerlan mais aux grandes invasions si mal connues de la préhistoire.

Les imbéciles trouvent ce monde raisonnable parce qu'il est savant, alors que la vie nous démontre tous les jours qu'il est des savants parfaitement déraisonnables, que la science ne confère nécessairement ni le bon sens, ni la vertu. Le monde moderne qui se vante de l'excellence de ses techniques est en réalité un monde livré à l'instinct, je veux dire à ses appétits. Voilà pourquoi il s'oriente de lui-même vers des expériences qui ne semblent si hardies que parce qu'elles ne lui sont nullement proposées par la raison, mais inspirées par l'instinct. Il tire vanité de ce que ces expériences sont nouvelles, sans se préoccuper beaucoup de savoir si elles sont réalisables ou non, car il se flatte de pouvoir vaincre toutes les difficultés par ses techniques. Si de telles expériences sont irréalisables, les techniques ne sauraient pourtant permettre de les poursuivre jusqu'au bout, mais sans doute sont-elles déjà capables de les mener assez loin pour les rendre irréversibles, c'est-à-dire pour engager notre espèce dans des voies sans issue. La bombe atomique vient d'ouvrir une de ces voies. La bombe atomique marquera peut-être le triomphe décisif de la technique sur la raison.

Il y en a certainement qui ne conçoivent pas très bien cette opposition entre la technique et la raison. Du moins se disent-ils que la raison l'emportera toujours sur les techniques, si perfectionnées qu'elles soient. Oh! bien sûr, la raison finira toujours par avoir raison.

La technique ne peut rien contre la raison, mais elle peut beaucoup, par exemple, contre l'humanité raisonnable, elle peut détruire la raison humaine en anéantissant l'humanité raisonnable, soit au cours d'une expérience malheureuse, par quelque accident colossal, soit à l'issue d'une guerre trop longue, au cours de laquelle _ comme un illustre biologiste sud-américain en faisait l'autre jour devant moi l'hypothèse - l'usage général et réitéré de la bombe atomique aura profondément modifié le milieu radioactif devenu ainsi défavorable à la vie. Mais ce double péril n'est pas le pire.

La technique peut exterminer l'humanité, elle peut aussi la dégrader au point qu'elle ne mérite plus le nom de raisonnable. Oh 1 croyez-moi, il n'y a rien là qu'une autre hypothèse, non moins vraisemblable que la première. On nous invite sans cesse à calculer tout le profit que nous allons retirer d'une invention merveilleuse qui nous livre le secret de l'énergie universelle. On nous dit que cette énergie nous sera distribuée bientôt pour deux sous. Il est étrange que nous ne nous demandions pas si ceux qui seront chargés de sa distribution se contenteront de la répartir avec scrupule, entre tous les hommes. Si les quelques milliers de techniciens disposant d'une force capable de faire sauter la planète se contenteront de servir l'humanité au lieu de l'asservir.

Oh! je sais bien, ce mot d'homme économique crée tout de suite un malentendu. On pense malgré soi à un brave type économe qui met ses sous dans un bas de laine. Mais l'homme dont nous parlons n'est pas précisément économe, nous venons d'en voir la preuve. Il n'y a pas plus prodigue que lui. Il vient de dissiper, en quelques années d'une orgie sanglante, des richesses immenses, un nombre incalculable de vies humaines. Et il ne demande qu'à continuer. Nous assistons toujours à la lutte de l'homme contre l'économie qui prétend l'asservir. L'économie veut contrôler la paix, et c'est pourquoi la paix ne réussit pas à se faire. Au rétablissement de l'économie, on continue de sacrifier partout des milliers et des milliers de vies humaines, des vieillards et des enfants.

L'homme économique apparaît facilement sous les traits de l'homme d'affaires, de l'homme pratique, opposé à l'idéaliste, au poète !

L'homme moderne est un angoissé. L'angoisse s'est substituée à la foi. Tous ces gens-là se disent réalistes, pratiques, matérialistes, enragés à conquérir les biens de ce monde. Nous sommes très loin de soupçonner la nature du mal qui les ronge, car nous n'observons que leur activité délirante, sans penser qu'elle est précisément la forme dégradée, avilie, de leur angoisse métaphysique. Ils ont l'air de courir après la fortune, mais ce n'est pas après la fortune qu'ils courent: c'est eux-mêmes qu'ils fuient. Dans ces conditions, il est de jour en jour plus ridicule d'entendre de pauvres prêtres ignorants et paresseux tonner du haut de la chaire contre l'orgueil de ce perpétuel fuyard, l'appétit de jouissance de ce malade qui ne peut plus jouir qu'au prix des plus grands efforts, qui éprouve de la fringale pour tout, parce qu'il n'a réellement plus faim de rien.

L'homme des machines est un anormal. Lorsqu'on parle de déséquilibre entre les nécessités spirituelles et la multiplication des mécaniques, on raisonne comme si, pour remédier aux maux que ce déséquilibre engendre, il suffisait d'imposer à l'homme un meilleur, un plus rationnel emploi du temps, selon les règles de la pédagogie: récréations plus courtes, classes plus longues. Hélas! ce sont là des idées de pion. L'homme moderne n'est pas un élève paresseux qui joue avec les machines au lieu d'apprendre ses leçons ou de faire sa prière. Les machines le distraient, à prendre ce mot, devenu banal, non dans son acception ordinaire, mais dans son sens exact, étymologique : distraire. Ce qu'il exige de ces mécaniques, c'est de rompre brutalement le rythme ancien, traditionnel, le rythme humain du travail, de l'accélérer à tel point que les images redoutables ne puissent pas plus se former dans sa pensée que ne se forment les cristaux de gel dans une eau brisée par l'écueil. Il ne s'agit pas d'ailleurs ici que des machines utilitaires. Celles que l'homme des machines a le plus aimées, pour lesquelles il ne cesse d'épuiser toutes les ressources de son génie inventif, et dont le perfectionnement absorbe sans doute les quatre cinquièmes de l'effort industriel humain, sont précisément celles qui correspondent, s'ajustent pour ainsi dire exactement aux réflexes naturels de défense d'un angoissé : le mouvement qui grise, la lumière qui réconforte, les voix qui rassurent.

La civilisation des machines a considérablement amoindri dans l'homme le sens de la liberté. Les disciplines imposées par la technique ont peu à peu sinon ruiné, du moins considérablement affaibli les réflexes de défense de l'individu contre la collectivité. Il suffit pour s'en convaincre de noter ce fait considérable et auquel nous sommes si habitués qu'il passe presque inaperçu : la plupart des démocraties, à commencer par la nôtre, exercent une véritable dictature économique. Elles sont de véritables dictatures économiques· La dictature économique survit presque partout aux nécessités de la guerre, par lesquelles on prétendait la justifier.

Vous ne voyez pas en moi un économiste ni un politique, je suis un romancier. Je ne ferai pas ici le procès économique ou politique du machinisme, je voudrais l'observer dans l'homme, comme un médecin observe un poison dans l'organisme même où il a été, introduit. Il est bien vrai que le machinisme est la cause d'une certaine perversion de l'humanité. Il est plus vrai encore de dire qu'il a été la conséquence de cette perversion, que le mal était dans l'homme peu à peu déspiritualisé.

L'humanité tout entière est malade. Il faut d'abord et avant tout respiritualiser l'homme. Pour une telle tâche, il est temps, il est grandement temps de mobiliser en hâte, coûte que coûte, toutes les forces de l'Esprit. Dieu veuille que ce mot d'ordre parte de mon pays aujourd'hui humilié ! Le droit que notre peuple a mérité au cours de sa longue histoire, c'est peut-être le droit de reprendre aujourd'hui les idées qu'il a jadis répandues largement dans le monde et que l'intérêt, l'ignorance et la sottise ont exploitées, déformées, usées, au point qu'il ne les reconnaît plus lui-même. Les reprendre, comme jadis on renvoyait à la fonte les monnaies d'or et d'argent.

Quelle était, avant nos discordes civiles, à l'heure où la France prenait le plus clairement, ou du moins le plus passionnément conscience d'elle-même, en pleine explosion du traditionnel humanisme français, notre conception de la liberté? C'est cette idée qu'il faut reprendre. Car nous la croyons encore capable de réconcilier tous les hommes.

Georges Bernanos (1888 - 1948)




"Un prophète n'est vraiment prophète qu'après sa mort, et jusque-là ce n'est pas un homme très fréquentable. Je ne suis pas un prophète, mais il arrive que je voie ce que les autres voient comme moi, mais ne veulent pas voir. Le monde moderne regorge aujourd'hui d'hommes d'affaires et de policiers, mais il a bien besoin d'entendre quelques voix libératrices. Une voix libre, si morose qu'elle soit, est toujours libératrice. Les voix libératrices ne sont pas les voix apaisantes, les voix rassurantes. Elles ne se contentent pas de nous inviter à attendre l'avenir comme on attend le train. L'avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l'avenir, on le fait." Pour la dernière fois, à la veille de mourir, Bernanos jette son défi d'homme libre au monde contemporain, tant il est vrai qu'une des fonctions de l'esprit est de réveiller sans cesse l'inquiétude, et de renverser toutes les garanties du confort intellectuel.

mardi 15 janvier 2008

KRISHNAMURTI, Se libérer du connu.

La médium Helena Blavasky entourée des maîtres Kouthoumi, El Morya Khan, le chevalier " blanc " en bottes est l’inénarrable Comte de Saint Germain.

Jadis, sous la houlette des lamas, le peuple tibétain ne connaissait ni l’art du bonheur ni les joies de la liberté. Indifférents à cette triste vérité, les médiums du Nouvel Age transmettent les enseignements des maîtres tibétains ascensionnés, Djwhal Khul, Kuthumi, El Morya Khan et d’autres grands initiés de Shangri-la. Cette prétendue élite initiatique prépare l’avènement de la nouvelle religion planétaire.

Les gourous, la kundalini frétillante, les mantras, la liturgie tantrique, les mystérieuses initiations de pouvoir ne sont pas indispensables. Les conseils de Krishnamurti permettent de se prémunir contre la propagande du Nouvel Age.

Krishnamurti se sépara de la Société Théosophique d'Helena Blavatsky. Dès sa création, cette organisation instilla l’idéologie du Nouvel Age dans l’humanité.

Krishnamurti a laissé un traité de la seule révolution qui vaille : la libération intérieure :

Au cours des âges, l’homme a toujours cherché un quelque-chose, au-delà de lui-même, au-delà du bien-être : un quelque-chose que l’on appelle Dieu, ou la réalité, ou l’intemporel, que les contingences, la pensée, la corruption humaine ne peuvent altérer.

L’homme s’est toujours posé, au sujet de l’existence, la question fondamentale : " De quoi s’agit-il ? La vie a-t-elle un sens ? " Plongé dans l’énorme confusion des guerres, des révoltes, des brutalités, des incessants conflits religieux, idéologiques, nationaux, il se demande, avec un sens intime de frustration, comment en sortir, que veut dire vivre, et s’il n’existe rien au-delà.

Et ne trouvant pas cet innommable aux mille noms qu’il a toujours cherché, il a recours à la foi en un Sauveur ou en un idéal : à la foi qui invariablement suscite la violence.

En cette perpétuelle bataille que l’on appelle vivre, on cherche à établir un code de comportement adapté à la société, communiste ou prétendument libre, dans laquelle on a été élevé.

Nous obéissons à certaines règles de conduite, en tant qu’elles sont parties intégrantes de notre tradition, hindoue, islamique, chrétienne, ou autre. Nous avons recours à autrui pour distinguer la bonne et la mauvaise façon d’agir, la bonne et la mauvaise façon de penser. En nous y conformant, notre action et notre pensée deviennent mécaniques, nos réactions deviennent automatiques. Nous pouvons facilement le constater en nous-mêmes.

Depuis des siècles, nous nous faisons alimenter par nos maîtres, par nos autorités, par nos livres, par nos saints, leur demandant de nous révéler tout ce qui existe au-delà des collines, au-delà des montagnes, au-delà de la Terre. Si leurs récits nous satisfont, c’est que nous vivons de mots et que notre vie est creuse et vide : une vie, pour ainsi dire de " seconde main ". Nous avons vécu de ce que l’on nous a dit, soit à cause de nos tendances, de nos inclinations, soit parce que les circonstances et le milieu nous y ont contraints. Ainsi nous sommes la résultante de toutes sortes d’influences et il n’y a rien de neuf en nous, rien que nous ayons découvert par nous même, rien d’originel, de non corrompu, de clair.

L’histoire des théologies nous montrent que les chefs religieux ont toujours affirmé qu’au moyen de rituels, que par des répétitions de prières ou de mantras, que par l’imitation de certains comportements, par le refoulement des désirs, par des disciplines mentales et la sublimation des passions, que par un frein, imposé aux appétits, sexuels et autres, on parvient, après s’être suffisamment torturé l’esprit et le corps, à trouver un quelque-chose qui transcende cette petite vie.

Voilà ce que des millions de personnes soi-disant religieuses ont fait au cours des âges ; soit en s’isolant, en s’en allant dans un désert, sur une montagne ou dans une caverne ; soit en errant de village en village avec un bol de mendiant ; ou bien en se réunissant en groupes, dans des monastères, en vue de contraindre leur esprit à se conformer à des modèles établis.

Mais un esprit torturé, dont les ressorts sont brisés, qui n’aspire plus qu’à échapper aux difficultés de la vie, qui a rejeté le monde extérieur parce que des disciplines et des conformismes l’ont abêti – un tel esprit, chercherait-il longtemps, ne trouverait jamais que l’image de sa propre déformation. […]

En vue de rejeter l’autorité (je parle de l’autorité psychologique, pas de celle de la loi), en vue de dénier toute autorité aux organisations religieuses, aux traditions, à l’expérience, on doit voir pourquoi l’on a une tendance habituelle à obéir, et l’on doit étudier ce penchant. Pour ce faire, on doit se libérer de tout ce qui est condamnation, opinion, acceptation. Il est impossible d’accepter l’autorité tout en l’étudiant. Pour étudier en nous-mêmes toute la structure psychologique de l’autorité, nous devons en être dégagés. Cette étude comporte une négation de toute cette structure, et lorsque nous la nions, cette action est la lumière de l’esprit qui s’est libérée de l’autorité. Nier, dans ce domaine, tout ce à quoi on a attribué de la valeur, la discipline imposée, les maîtres, l’idéalisme, c’est les étudier, et cette action n’est pas seulement discipline, mais sa négation, qui est un acte positif. Nous nions ainsi tout ce qui a été considéré important en vue de provoquer ce silence de la pensée.

Se libérer du connu, dans Le Livre de Poche :


Grâce aux maîtres tibétains, Monsieur Maréchal peut se déclarer médium, voyant et initié investi… : http://www.pierrickmarechal.fr/